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Faut-il réhabiliter les Yamas et Niyamas ?



Les Tantras ont évidemment une optique très différente.

Accompagnés d'une certaine attitude mentale à leur égard, ces préceptes, tout en conservant leur apparence édifiante, deviennent des instruments de purification et prennent une autre dimension parce que leur finalité se situe bien au-delà d'eux-mêmes. Ces règles n'ont pour objectif que le contrôle et la conservation de l'énergie.

Considérés sous l'angle de la vertu et de la morale, les réfrènements et les disciplines (Yamas et Niyamas) apportent des mérites ; sous l'aspect de la conservation de l'énergie,

ils procurent du pouvoir, un pouvoir « magique » au sens noble et large du terme.

C'est là toute la différence, mais elle est de taille !

Jean Papin, Tantra et Yoga, De la volonté personnelle au non-faire



Les Yamas et Niyamas (réfrènements et discipines) sont les deux premiers membres

du Raja Yoga de Patanjali, dit Yoga Classique.

Les yogas tantriques les omettent la plupart du temps,

commençant directement au troisième membre, Asanas, les postures.

Ils défendent l'idée que la morale est un obstacle à l'élévation spirituelle,

qu'elle nous oppose à ce que nous sommes,

à nos pulsions primaires et à nos désirs,

et que ça mène à des processus de refoulement délétères

qui nous bloquent dans notre cheminement spirituel.

Notre animalité, nos désirs, sont l'élan même de la vie en nous,

et doivent être utilisés et transmutés, non pas refoulés.

On n'a jamais trop d'énergie,

par contre les nœuds du corps et de l'esprit la bloquent, créant des zones de surpression,

qui nous font en perdre la maîtrise : on est agit par nos énergies.

On se fait trimballer par ses désirs,

ses pulsions sexuelles,

ses addictions,

et beaucoup d'agitation et de souffrance en découlent.

La vision tantrique courante relâche la pression en nous disant :

ne luttez pas contre vos énergies, vos penchants,

vous n'en tirerez au mieux que des échecs culpabilisants,

au pire des refoulements inconscients bien plus pervers.

Apprendre à faire du vélo se résume à intégrer un réflexe contre-intuitif :

quand mon corps bascule vers la droite, au lieu de contrebalancer vers la gauche,

réflexe naturel qui mène à une chute inévitable,

je plonge vers la droite, j'utilise l'élan de ma chute pour prendre de la vitesse et,

par la combinaison de l'adhérence au sol et de la force centrifuge,

je finis par retrouver ma verticalité.

C'est exactement le programme du yoga tantrique :

redresser mes énergies pour en prendre la maîtrise en utilisant leur puissance propre et leur inertie.

Ça aide encore à lâcher-prise profondément, à se réconcilier avec nous-même,

nos soi-disantes imperfections : on se met à s'aimer soi-même comme une partie de la Nature,

comme une partie de Dieu, absolument parfaite en son genre.

Tout ça est superbe, absolument pertinent, libérateur et transformateur.

Et en même temps...



En même temps cette vision,

si elle n'est pas accompagnée d'un travail extrêmement sérieux et puissant sur nos énergies,

peut simplement nous servir de justification complaisante à nos pulsions primaires,

et devenir un obstacle à la pratique.

On qualifie les voies tantriques de Vira Marga,

« voie du héros »,

précisément parce qu'il faut une puissance héroïque pour ne pas tomber dans ce piège.

Pour revenir à notre métaphore du vélo, si le corps part à droite et qu'on plonge à droite sans prendre de vitesse, on s'éclate tout simplement par terre...

Et on peut vite fabriquer une espèce de contre-morale et se raconter que boire du pif,

manger du saucebak et fumer des clopes entre trois pranayamas est un chemin spirituel en soi, contrairement à tous ces yogis coincés qui n'ont rien compris

et cherchent une pureté illusoire dans le végétarisme, la non-violence et la chasteté,

au lieu de vénérer la Shakti

et de devenir terribles !

Des fois même avec une teinte de jugement moral,

un sentiment de supériorité dans le ton.

Est-ce que c'est vrai ?

D'après mon humble et subjective expérience non.


Au fil de mon approfondissement de la pratique, j'observe que naturellement,

plus je suis aligné,

présent et vibrant,

plus mon comportement correspond aux préceptes des Yamas et Niyamas du yoga

(ou aux règles bouddhistes, Sila, qui sont quasi les mêmes).


Pour les Yamas, les "réfrènements":

Plein d'Amour je suis non-violent (Ahimsa -1er yama),

dans l'acceptation totale de ce que je suis et de ce qu'est le Monde

(ce qui revient strictement au même)

je suis dans la véracité, je ne mens pas et tiens des discours vrais (Satya - 2ème yama),

et mes désirs étant maîtrisés, je suis honnête et m'abstiens de voler (Asteya - 3ème yama).

Le Brahmacarya (4ème yama) n'est pas du tout la chasteté mais la maîtrise de l'énergie sexuelle.

Ça veut dire que je ne suis plus trimballé par mon désir,

que mes pulsions ne viennent plus déformer mes relations sociales et mon comportement,

que je n'ai plus besoin de sexualité pour me sentir bien,

et que je peux faire l'amour autant que je veux sans avoir d'orgasme classique,

c'est-à-dire sans perdre mon énergie.

Enfin j'arrive à me souvenir que la possession de nouveaux bien ne me satisfait jamais,

et que seule ma présence peut me combler,

je vais donc naturellement vers la pauvreté (Aparigraha - 5ème yama),

mais la pauvreté choisie, qui est le plus grand des biens,

ce que met en pratique aujourd'hui le mouvement minimaliste.

(Je parle de tendances que j'observe en moi dans les moments où je me sens particulièrement présent, je prétends vraiment pas avoir réalisé tout ça de manière complète et définitive évidemment!)


Pour les Niyamas, les "disciplines",

j'ai observé qu'avoir un corps et des vêtements propres,

vivre dans un lieu « pur », c'est-à-dire propre, non-pollué,

dans la nature et le calme

aide à la pratique.

Quand aux purifications du corps (shatkarmas) et au régime végétarien,

sans alcool et sans drogue,

j'y trouve clairement une légèreté, une clarté,

et une sensation de pureté et d'harmonie

qui me relie aux êtres et à l'Univers

(bien que les expériences sous drogues

aient été des éléments fondamentaux de mon évolution spirituelle).

Voila pour Shauca, la purification (1er niyama).

Ensuite vient Samtosa,

la sérénité, le contentement, l'équanimité.

Et on observe ça aussi clairement dans nos évolutions :

la manière dont on ne se laisse plus embarquer par notre émotivité,

ce qui a le résultat magique de réduire nos souffrances et d'amplifier nos bonheurs.

En troisième il y a Tapas,

pas celles qu'on mange en Espagne avec un vers de vin...

En fait c'est à la fois l'ascèse, l'austérité,

mais aussi le feu intérieur

qui va venir dévorer tous les contenus morbides.

C'est plus s'enfermer pendant dix jours

pour faire du pranayama douze heure par jour et faire monter l'énergie,

que renoncer aux plaisirs du monde.

C'est l'idée qu'il faut un effort surhumain pour nous libérer de notre animalité,

qu'il va falloir développer énormément de puissance,

et que ça va forcément passer par la volonté à un moment.

C'est le coup de pédale qu'il faut mettre

au moment où on se laisse entraîner dans notre chute pour relancer le vélo.

Et c'est le complément indispensable du lâcher-prise,

sans lequel on peut vite tomber dans le laisser-aller...

Vient ensuite Svadhyaya,

l'étude des textes théoriques et de la métaphysique...

No comment, puisqu'on est en plein dedans...

Et pour finir Îshvara pranidhâna,

l'Abandon complet à Dieu.

Ben oui.

Clairement.

Évidemment.

C'est vers là que tout mène.

Je fusionne avec l'Univers.

Je prends conscience que je suis un processus cosmique, je me vis comme tel.

Ce n'est pas « ma vie »,

je suis le témoin divin d'« une vie »,

à laquelle je m'abandonne.

J'accepte que ce qui m'arrive n'est pas là

pour satisfaire mon petit moi bavard et arrogant,

mais pour parfaire l'harmonie cosmique dont je suis un élément minuscule.

Je lâche prise et j'essaye d'être à la hauteur de ce qui m'échoit.

C'est le résultat naturel de tous les yogas, Jnana, Bhakti, Karma, Hatha, Raja...



Du coup si on part du principe

– quand même évident –

que les membres du yoga ne sont pas à pratiquer dans l'ordre,

les yamas et niyamas ne sont pas des règles morales,

des pré-requis à la pratique,

mais des indications sur les processus qui se mettent en place

au fil de notre maturation spirituelle,

processus qu'il est bon de repérer et de nourrir.

Pour finir,

il me semble qu'il n'y a aucune contradiction avec les pratiques subversives tantriques.

Je pense personnellement que le tantrisme ne recommande pas de manger de la viande et de boire du vin tous les jours,

dés qu'on en a envie.

Par contre, au cours de cérémonies,

on va manger de la viande, boire du vin,

prendre des drogues, faire l'amour avec « n'importe qui ».

On va aussi manger des boulettes faite d'un mélange de sperme,

de menstrues et d'excréments humains.

Pourquoi ?

Pour se détacher du dégoût,

qui est illusoire et nous coupe de la nature absolument sacrée

de l'intégralité du réel.

Pour se détacher de la morale,

qui introduit la même coupure en nous.

Enfreindre de manière rituelle pour ne plus être en mesure de condamner.

Au moment où on est totalement maître de nos énergies,

on n'a plus besoin de règles de conduites,

parce qu'on n'est plus soumis à notre paresse,

à nos addictions.

Parce que nos énergies sont tellement puissantes,

que les énergies extérieures n'ont plus le pouvoir de nous happer.

En attendant, nous devons nous en méfier

de notre paresse,

de nos addictions

et déployer un effort extraordinaire

en même temps qu'absolument détendu,

pour avancer dans le yoga.

Dans cette voie,

personne ne pourra faire l'économie de la discipline,

de « l'ascèse brulante »,

de multiples renoncements aux objets du monde, etc.

La voie tantrique nous invite à le faire de manière héroïque,

sans être dans la morale,

sans jamais entrer en lutte contre soi-même,

sans être dans le sacrifice du présent pour un futur fantasmé,

mais par le plaisir,

pour le plaisir,

la joie et l'Amour.

Parce que ne pas prendre de drogue

m'emmène dans des états encore plus puissants que prendre de la drogue,

ne pas prendre de drogue devient encore plus rock'n roll qu'en prendre,

et si je me réfrène effectivement,

c'est que c'est le passage vers quelque chose de plus grand

que je désire,

et que j'ai suffisamment de maîtrise

pour ne pas le perdre de vue.

Alors je suis dans la voie tantrique,

celle du héros,

celui qui affronte les obstacles

un par un

et en triomphe

au lieu de les contourner.



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